Les 3 premiers chapitres de Nightford, légendes surnaturelles, gratuitement !
Merci énormément pour ton intérêt pour cette histoire ! Tu trouveras ci-dessous les 3 premiers chapitres de la trilogie « Nightford, légendes surnaturelles » qui met en scène une louve chargée de rouvrir une vieille enquête avec le sorcier qu’elle a fait arrêter pour les mêmes crimes… Tension garantie !
Résumé :
Elle l’a fait enfermer, il est désormais le seul à pouvoir l’aider.
Dawn, une louve envoyée à Édimbourg pour traquer les surnaturels hors la loi, reconstruit sa vie sur Terre, loin des siens. Bien entourée par son nouveau cercle d’amis, elle n’est ni prête à retourner dans son monde ni à affronter son passé.
Jusqu’à ce que le corps sans vie d’une sorcière soit retrouvé et qu’elle fasse le lien avec une vieille affaire…
Convaincue qu’elle doit rentrer à Nightford, la louve est loin de se douter que ses certitudes vont toutes voler en éclats. Et quand son patron lui annonce qu’en plus des corps repérés à Édimbourg, un vampire a été assassiné, elle n’a plus aucun doute.
Il s’agit de la même enquête.
Mais rien ne la préparait à s’allier au tueur en série qu’elle a fait enfermer pour les mêmes crimes il y a cinq ans… et encore moins à devoir composer avec son charme insolent.
Entre magie, désir et rancune, leur enquête pourrait bien les consummer.
Si tu aimes les rebondissements, la magie, le suspense et la romance slow burn, cette histoire est pour toi !
Ci-dessous les 3 premiers chapitres du 1er tome !
Bonne lecture ❤️
Bénédicte P. Durand
⚠️ le texte proposé ci-dessous n’est pas encore corrigé, il est actuellement entre les mains de sa correctrice
CHAPITRE 1
Dawn
S’il existe bien un moment où les corps ne mentent pas, il s’agit de celui-ci.
Une main appuyée sur le mur, les hanches ondulantes, je laisse les vagues de plaisir m’emporter, paupières closes. Jusqu’à ce que les tremblements de mon partenaire répondent aux miens. Le souffle court, j’ouvre les yeux pour rencontrer ceux brûlant de Kai. J’échappe à ses paumes posées sur mes cuisses et m’allonge à côté de lui en rabattant le drap sur mon ventre. L’oreiller calé sous la nuque, je soupire pleinement satisfaite.
— Reste avec moi cette nuit, Dawn.
Le bras de mon coéquipier m’enveloppe et son nez vient frotter mon épaule. Le bout de mes doigts frôle sa peau tiède alors que je secoue la tête.
— Tu sais que je ne peux pas, réponds-je en douceur, ça faisait partie de notre accord.
Et j’ai d’autres projets d’ici le lever du soleil.
Kai dégage la pointe de mes cheveux blancs pour poser un baiser sur ma clavicule et se lève, direction la salle de bain.
— J’aurais au moins essayé.
Comme à chaque fois depuis plusieurs mois que nous partageons plus qu’une relation strictement professionnelle.
Je le suis du regard, m’attardant sur les muscles de son dos, sur le galbe de ses fessiers et la puissance de ses cuisses.
Pas mal pour un humain.
Le jet de la douche se fait entendre, de la vapeur s’échappe depuis la porte entrouverte à la manière d’une invitation. Kai… si tu crois m’avoir avec ce genre de procédé !
Je serre les dents et récupère mon téléphone dans mon sac pour me concentrer sur autre chose.
Plusieurs alertes du CID[1], deux messages de Briar, un de notre boss à Kai et moi nous demandant des comptes sur l’affaire McCann…
Je lâche l’écran qui atterrit sur mon ventre et caresse le tatouage au creux de mon poignet.
Un « L » noir sur ma peau hâlée, en écriture cursive.
Le L de la Liste.
Celle des surnaturels ayant traversé un portail entre les mondes pour arriver de manière illégale à Édimbourg.
Il me suffit de toucher l’encre pour que le parchemin portant les noms de mes cibles apparaisse sous mes yeux tout en restant invisible aux humains.
Aucun nouveau nom n’y a été inscrit depuis trois semaines. Ce qui signifie que les Veilleurs ont empêché toute création de passage clandestin dans mon monde d’origine ou qu’ils n’ont pas encore identifié leurs utilisateurs.
J’observe la Liste en mordant l’intérieur de ma joue.
Il ne me reste plus que trois surnaturels à traquer en dehors de celle qui m’échappe depuis mon arrivée à Édimbourg il y a cinq ans.
Lyanna Thornfield.
J’ai eu beau tout donner, je n’ai jamais mis la main sur la vampire. Je n’ai donc que deux explications possibles : soit elle est tombée sur plus fort qu’elle et en est morte, soit elle est devenue végétarienne.
— L’initiale d’un de tes précédents amants ?
Je reviens au moment présent, retire mon doigt du L noir et la Liste disparaît pour révéler Kai.
Une serviette autour de la taille, ses cheveux bruns coupés très courts déjà secs, il m’adresse un sourire amusé avant de me rejoindre. Il attrape ma main et effleure le tatouage.
— Je me suis toujours demandé ce qu’il représentait.
La véritable raison de ma présence ici.
— Nous ne sommes pas assez proches pour que je te le révèle, le taquiné-je en récupérant mon bras.
— Pas assez proches ?! s’offusque-t-il. Après ce que nous avons fait ce soir, et deux nuits avant ça et encore…
Je l’arrête en attrapant son menton entre mes doigts. Nos visages s’alignent, seulement à quelques centimètres l’un de l’autre. Ses prunelles sombres plongent dans les miennes. La commissure de ses lèvres s’affaisse en douceur, dans l’expectative.
— Tu veux plus, Kai ? lui demandé-je.
Les sens en alerte, je patiente. Mon coéquipier déglutit, cherche à échapper à mon regard. Je perçois les battements de son cœur contre sa cage thoracique. Ils s’emballent, comme le sang dans ses veines. Tout en lui diffuse son espoir, son désir et sa réponse évidente. Pourtant, ce n’est pas du tout ce qu’il affirme.
— Non, ça me convient, déclare-t-il en me souriant.
Je retiens un soupir et le libère pour qu’il s’étende à mes côtés. Voilà pourquoi nous ne pourrons jamais être ensemble. Ses mots vont à l’encontre de ce que me révèlent les réactions de son corps. De ce goût amer tapissant ma langue.
Il ment, comme tous les autres.
Et ma capacité à le détecter est ma malédiction.
Les changements de comportement, les pulsations cardiaques, la sueur, le regard fuyant, sont autant d’indicateurs pour les loups-garous. Mais ce qui me différencie de mes semblables, c’est que je sais exactement sur quel sujet on cherche à me tromper.
Compétence très pratique dans mon métier, mais totalement affligeante dans ma vie personnelle.
Tout le monde dissimule la vérité à un moment donné. Pour des motifs insignifiants, pour ne pas blesser, pour apaiser une situation et je ne crois pas que ce soit systématiquement une erreur, même si je préfère largement l’honnêteté. Mon problème est que je ne suis jamais dupe.
À cause de ce goût amer sur la langue. De cette aigreur qui entache mes relations.
— Après, si toi tu veux plus…
La fébrilité de Kai se répand dans la chambre et me fait me redresser sur le matelas. Il se concentre sur le plafond, un bras derrière la tête, comme si de rien n’était, comme si sa question était anodine. Mais les signaux qu’il m’envoie m’informent que non. Et j’en suis la première désolée.
Parce qu’il est un humain.
Parce qu’il est drôle, sérieux et adorable à la fois.
Parce que malgré tout ça, je ne ressens pas la même chose que lui.
— Nous avons un accord, rappelé-je, nous décompressons ensemble quand l’un de nous en a besoin, mais ça s’arrête là. Il n’a jamais été question de plus.
— Il peut toujours y avoir un avenant au contrat, souligne mon coéquipier, surtout quand ça se passe bien depuis plus de six mois.
C’est peut-être là qu’est mon erreur. J’ai continué à le voir en dehors du boulot, je n’ai pas fait attention aux signes me stipulant qu’il attendait plus de ma part. D’ordinaire, mes aventures durent seulement quelques semaines, le temps de calmer ma louve. C’est l’unique moyen que j’ai trouvé pour ne pas me transformer en plein milieu d’Édimbourg et ne pas mettre à mal ma couverture. Mais avec Kai, j’ai laissé traîner.
— Je ne souhaite pas d’avenant au contrat, lâché-je d’un ton neutre en attrapant sa main. Ce qu’on a me convient bien. Mais si ça ne te va plus, on arrête.
Je desserre ma prise sur ses doigts afin de lui rendre sa liberté dans tous les sens du terme quand il saisit mon bras pour m’empêcher de me lever.
— Ne t’en va pas.
Son ton se fait presque suppliant et la muraille en pierre protégeant mon cœur des mensonges se fendille légèrement.
— Je ne reste jamais.
— Juste cette fois. Je sais que ça ne voudra rien dire.
Là, il se ment à lui-même. Je déglutis pour effacer l’amertume au fond de ma gorge et retire sa main qui retombe mollement sur le matelas.
— Je vais me doucher et après j’y vais.
Je pose un baiser sur son front et me réfugie dans la salle de bain dont je laisse la porte ouverte. L’eau chaude dévale mon épiderme brûlant et le couvre de frissons.
Que je déteste ce genre de situation.
Ce plan avec Kai était parfait jusque-là et c’est aussi pour ça que je n’y ai pas mis un terme. Mais je vais devoir le faire, pour son bien.
— Je ne t’ai jamais vue avec quelqu’un depuis que tu es arrivée au CID, lance mon coéquipier depuis le lit.
— Parce que je n’ai pas trouvé la perle rare.
— Tu pourrais, si tu donnais une petite chance à tes rencards.
Si tu me donnais une chance, voilà ce qu’il souhaite vraiment dire. Malheureusement, c’est impossible.
— À part Briar, moi, et cette Vivian que je n’ai jamais rencontrée, avec qui passes-tu du temps en dehors du boulot ? réattaque Kai. Quand on croise les collègues, ils ont toujours plein de trucs à raconter et tu restes silencieuse.
Salut, les gars, hier soir j’ai poursuivi un sorcier arrivant d’un autre monde connecté au vôtre. Ne vous inquiétez pas, je l’ai renvoyé d’où il vient ! Je me vois bien balancer ça un lundi matin autour d’un café…
— Tu n’es pas le plus bavard non plus ! Ça me convient très bien comme ça. Briar et Vivian me suffisent.
— Être copine avec une fille qui est arrêtée tous les mois par la police n’est pas très bon pour ton dossier. Je sais pas ce que tu lui trouves, elle est complètement à côté de ses pompes !
— Elle croit aux médecines douces et à l’apaisement des souffrances par les plantes, souligné-je.
— C’est pour ça qu’on l’arrête !
Je coupe le jet d’eau, quitte la baignoire et laisse la température excessive de mon corps sécher ma peau.
— C’est pour ça que vous n’avez rien contre elle, rappelé-je, et qu’elle ressort toujours au bout d’une heure parce que ses plantes ne sont pas dangereuses pour la santé.
— Ses plantes ne sont pas référencées !
Ce qui est tout à fait normal pour une sorcière appartenant au Coven de la Lumière éternelle.
— Elle pourrait empoisonner quelqu’un, bougonne mon coéquipier.
Je retourne dans la chambre, nue comme un ver et l’arrête dans ses réflexions. Dawn : 1. Kai : 0. Je prends mon temps pour récupérer mes vêtements et les enfiler.
— Je te jure que si un jour elle intoxique quelqu’un, je la livrerai moi-même au service concerné. Merci de t’inquiéter pour moi.
Sa moue s’apaise un peu et disparaît complètement quand je me penche vers lui pour poser un nouveau baiser sur son front. Il se racle la gorge et s’assied au milieu des draps.
— On a deux jours de repos à la fin de la semaine, me remémore-t-il. Tu veux qu’on en profite ?
— J’aimerais bien passer chez Vivian, expliqué-je, ça fait longtemps que je ne suis pas allée la voir.
— C’est une vieille amie de ta famille, c’est ça ?
Plus ou moins. C’est surtout la sorcière qui a été mon premier point de contact avec le monde des humains.
— Une vieille amie qui n’apprécie pas trop le téléphone, confirmé-je, et ça fait plus d’un mois que je ne l’ai pas vue. Deux jours ne seront pas de trop pour rattraper le temps perdu.
Une façon douce d’espacer peu à peu ma relation avec mon partenaire du CID.
— OK, tu me diras quand tu souhaites revenir.
Je saisis mon sac pour le passer à mon épaule quand le téléphone de Kai sonne. Il se redresse, ses sourcils se froncent et j’ouvre mes sens pour capter sa conversation.
— Détective Martin, l’interroge la voix de notre patron, vous êtes seul ?
Kai me lance un regard avant de se détourner et de s’éloigner vers la fenêtre. Comme si ça allait m’empêcher d’écouter leur discussion.
— Oui, capitaine, déclare-t-il d’un ton bas.
Que Gallagher l’appelle est étonnant. Mon nom, Evans, est avant Martin dans son répertoire. C’est toujours moi qu’il contacte d’habitude.
— Je vous envoie une adresse par message, continue notre boss, je vous y attends. N’en touchez pas un mot à votre coéquipière. C’est compris ?
Pardon ? Comment ça, il ne doit pas m’en parler ? Et puis quelle adresse ?
— Oui, chef, confirme Kai. Je fais ça au plus vite.
Ses épaules se tendent alors qu’il raccroche et récupère son jean lancé sur une chaise dans un coin.
— Tout va bien ? lancé-je.
— Ouais, il veut le dossier Byers demain matin à la première heure. Je l’ai pas encore bouclé, il est furax.
Aigreur.
Je n’ai même pas besoin de ma faculté pour savoir qu’il me ment. Ça m’apprendra à écouter les conversations privées…
— Et il t’appelle à 23 h pour ça au lieu de t’engueuler quand il te verra demain au bureau ?
— Comme toi quand tu m’appelles la nuit parce que tu as démêlé les fils d’une de nos affaires.
C’est pas faux. Mais là, je sais qu’il ne dit pas du tout la vérité et ma curiosité est piquée.
Il termine de se vêtir, récupère son arme de service dans le coffre installé dans sa penderie et me tend la mienne.
— Fais gaffe sur la route.
Il passe devant moi sans m’accorder un regard et sans un sourire. L’appel de Gallagher l’a tout autant perturbé que moi.
— Toi aussi ! lui lancé-je alors qu’il atteint déjà la porte de son appartement.
Il la claque et mon attention se pose sur le L tatoué à l’intérieur de mon poignet. Un choix s’offre à moi.
Reprendre ma traque des surnaturels planqués à Édimbourg ou suivre mon coéquipier qui m’a menti effrontément sur les ordres de notre boss.
Je me décide en moins d’une seconde.
Que les êtres magiques dorment tranquilles. Cette nuit, ce ne sont pas eux qui seront pris en filature.
[1] Criminal Investigation Department, une unité spécialisée de la police écossaise chargée d’enquêter sur des crimes majeurs
CHAPITRE 2
Dawn
Je n’ai que quelques minutes avant que Kai ne m’échappe. Sac sur le dos, flingue à la ceinture, je quitte son appartement et me précipite dans l’ascenseur descendant au parking souterrain. Les numéros défilent jusqu’au niveau -1 et je rejoins ma propre voiture au moment où la sienne s’arrête devant la lourde porte donnant sur l’extérieur.
Il la franchit quand je m’engage dans sa direction.
— Si tu crois me semer mon petit Kai, tu te mets le doigt dans l’œil jusqu’au cerveau.
Le poids de mon véhicule garde le mécanisme actif et je sors du parking en plein milieu de Leith[1]. Ici, les bâtiments victoriens se mêlent aux immeubles plus modernes construits le long des docks ou même aux vieux entrepôts réhabilités. Malgré l’heure tardive, les rues restent animées et la fraîcheur de la nuit n’entame pas le moral des fêtards savourant d’une pinte en terrasse. Je ralentis au niveau d’un passage piéton quand trois filles traversent sans regarder autour d’elles, direction l’arrêt du tramway.
Deux voitures en profitent pour s’intercaler entre mon coéquipier et moi. Tant mieux, il me remarquera moins.
J’appuie sur l’accélérateur et le suis, mes sens aux aguets. Je les pousse tant que je suis presque capable de sentir l’air marin de la côte au travers des vitres fermées.
J’adore ce quartier et peux m’y perdre des heures, il me surprendra toujours. Mais ce soir, j’ai très envie que tout le monde s’écarte pour me laisser passer. La paume sur le klaxon, j’inspire profondément pour ne pas l’utiliser et me faire remarquer quand le véhicule devant moi s’arrête pour une raison inconnue.
— Bouge. Mais bouge !
Patience, Dawn, patience.
Je dois bien l’admettre, ce n’est pas ma qualité principale. J’aime l’action, l’adrénaline, sentir mon cœur s’emballer dans ma poitrine. Là, il tambourine fort, mais de frustration.
Je ne vais quand même pas perdre Kai alors qu’il va à un endroit-dont-il-ne-doit-pas-me-parler. Je dois savoir. C’est une question de principe. Ça apprendra à Gallagher d’essayer de me tenir à l’écart.
Le trafic se fluidifie et je repère mon partenaire cinq véhicules plus loin qui quitte Leith pour contourner la vieille ville et traverser West End.
Quelques minutes plus tard, il ralentit et je me retrouve trop près. Je l’imite, laisse passer une autre voiture et le vois tourner dans une artère éclairée par des lumières rouges et bleues.
Nous sommes arrivés.
Je me gare sans attendre et quitte mon siège quand il disparaît. C’est à ce moment-là que je réalise où je me trouve. Ces maisons de trois ou quatre étages en pierres grises et mitoyennes, je les connais. Plutôt bien.
Mes épaules se crispent, ma mâchoire se serre alors que je me dirige vers la rue où les gyrophares tourbillonnent à intervalles réguliers. Deux policiers représentent le seul cordon de sécurité pour éloigner les curieux, déjà nombreux. Leurs pyjamas protégés par des manteaux de mi-saison, ils n’ont pas pu s’en empêcher. Cette société voyeuriste me tue. Il n’y a rien de sympa à observer une intervention des forces de l’ordre à minuit. C’est juste glauque.
— Circulez, s’agace l’un des deux, y a rien à voir !
Classique et inutile.
Un grondement monte dans ma gorge, assez discret pour qu’on ne sache pas que c’est moi, mais suffisamment profond pour que l’instinct de conservation des humains prenne le pas sur leur curiosité.
La peur suscitée flotte autour de moi et leurs tressaillements me poussent presque à sourire. Les badauds s’écartent sans en avoir réellement conscience et je me faufile entre eux, mon badge déjà dans la main.
— Détective Evans, lâché-je face aux deux policiers, je rejoins mon coéquipier.
Ils libèrent le passage avant de se repositionner pour retenir les voisins. Je marche au milieu de la route entre les véhicules à l’arrêt, le sang pulsant entre mes tempes.
Cette rue est celle de…
Quand je parviens devant la maison en question, mon cerveau se vide de toutes pensées. Je reconnais la porte blanche ouverte pour l’avoir franchie un certain nombre de fois. Je sais où se situent le salon, la cuisine et les chambres.
Mes paupières me grattent et je bats des cils pour retrouver contenance.
Je n’ai aucun doute sur ce que je vais trouver. Les gyrophares et le véhicule de la médecine légale — même pas une ambulance — ont déjà vendu la mèche.
Au même moment, Kai apparaît sur le perron, les sourcils froncés et son attention focalisée sur son smartphone. La mienne se pose sur lui. Figée, le temps se suspendant, je n’entends plus l’agitation autour de nous.
Quand il relève la tête et croise mon regard, je lis dans le sien de la surprise, puis de la colère, avant qu’il soit submergé par la tristesse.
Il descend les cinq marches pour arriver à mon niveau et me saisit par le bras.
— Tu ne devrais pas être là, Dawn.
Je me dégage d’un mouvement sec, les dents si serrées que mes mots en sont presque inintelligibles.
— C’est elle ?
— Tu m’as suivi ? s’énerve mon coéquipier sans me répondre. Tu n’avais pas mieux à faire ?
— Oh, lâche-moi, Kai, ton bobard sur l’affaire Byers, tu n’y as même pas cru toi-même ! La prochaine fois, mets-y un peu plus de conviction !
— Tu n’aurais pas dû venir, Gallagher…
— Evans ! Martin ! rugit la voix de notre patron dans son dos.
Kai se tend immédiatement et mes poings se serrent si forts que mes ongles rentrent dans ma peau. C’est la seule douleur que je peux tolérer.
Gallagher nous fait signe d’approcher et désigne l’intérieur de la maison à mon coéquipier. Kai entre après un dernier regard désolé vers moi. Lorsque je m’apprête à le suivre, mon boss s’interpose.
— Repartez, Evans, ce n’est pas beau à voir.
— Je suis assez solide pour compartimenter.
Je l’ai déjà fait plusieurs fois.
Plus grand que moi, notre capitaine me toise de ses yeux bleus froids. Humain à la petite cinquantaine, les cheveux poivre et sel coupés en brosse, il a la carrure d’un ancien militaire sans n’avoir jamais fait l’armée. Il en impose, mais je ne me suis jamais laissé impressionner par lui. Des mâles Alpha, j’en ai soupé, il n’est pas le premier et ne sera pas le dernier que je croiserai.
— J’ai contacté Martin uniquement dans votre intérêt. Il avait pour ordre de ne pas vous en parler avant que nous ayons clarifié la situation, ce manquement sera ajouté à son dossier et…
— On quittait un bar après avoir pris un verre pour décompresser, il ne m’a rien dit, c’est moi qui l’ai suivie. Vous pouvez peut-être ajouter à son dossier « doit améliorer ses excuses minables », mais c’est tout.
Gallagher me dévisage avant de soupirer.
— J’imagine que vous n’obéirez pas si je vous ordonne de rentrer chez vous ?
— Je ne suis pas en service, approuvé-je.
Mes poings se décrispent légèrement et le picotement sur ma peau s’atténue. Mon boss s’écarte pour me livrer passage. Il pose une main sur mon épaule et son ton se fait compatissant.
— Je suis désolé.
Je ne réponds pas, la gorge nouée. J’inspire de nouveau pour calmer les pulsations dans tout mon corps et franchis le seuil. L’odeur légère du sang que je percevais sur le perron se fait plus puissante et efface celle du chèvrefeuille habituel.
L’entrée ressemble à celle que j’ai toujours connue avec le meuble où trône un plat plein de clés et de babioles en tout genre. Des manteaux sont suspendus à la patère sous l’escalier à la balustrade en fer forgé.
Des membres de la police scientifique posent des cartons jaunes numérotés un peu partout, autant de preuves pour alimenter leur prochaine enquête.
Mon regard dévie de tout ce désordre pour se concentrer sur le corps affalé contre un des murs crème du salon.
Il y a du sang autour du cadavre au niveau de la moquette et sur les parois claires. Des projections ont même atteint le plafond. Une desserte le long du canapé a été renversée au sol, stigmate d’une lutte n’ayant eu qu’un perdant.
Je retiens mon souffle alors que je m’approche de Vivian.
Les yeux sans vie de mon amie sont toujours ouverts et sa bouche se tord en une grimace de douleur. Elle s’est lentement vidée de son sang et s’est sentie partir. Son meurtrier n’a même pas pris le temps de finir le travail. Parce qu’il a été dérangé ou parce qu’il souhaitait la faire souffrir. Les premiers éléments de l’enquête nous l’indiqueront.
Et malgré ce que j’ai dit à Gallagher, mon cœur se brise.
J’étouffe dans ce salon qui a connu mes premiers rires à Édimbourg ainsi que mes larmes quand j’avais le mal du pays. Vivian a toujours été là pour moi.
Elle était mon point de contact et aussi mon amie. Alors que son rôle était d’aider les surnaturels envoyés sur Terre à s’établir pour prendre leur envol, elle a gardé sa porte ouverte pour moi. Elle n’en avait pas l’obligation, ça ne faisait pas partie de sa mission.
Pourtant, elle l’a fait.
Des gants en plastique apparaissent dans mon champ de vision au moment où l’odeur de Kai m’atteint. Sa colère s’est apaisée et je le sens attentif à mes réactions. Je le remercie d’un signe de tête, protège mes mains avant de m’accroupir devant mon amie. Mes doigts gagnent son visage pour clore ses paupières. J’en profite pour dégager une mèche grisonnante de son front. Le sang qui couvre sa peau est déjà sec.
Elle est morte depuis un moment.
— Un vol qui a mal tourné ? murmuré-je.
— On commence seulement l’enquête de voisinage, m’informe Kai, il n’y a eu aucune plainte dans le quartier depuis longtemps.
— Effraction ?
— La porte d’entrée a été enfoncée, ce qui a alerté un passant.
Donc Vivian n’attendait personne. Cela peut aussi bien être quelqu’un qu’elle connaissait qu’un inconnu.
En revanche, s’il y a bien un point qui limite le champ des possibles, c’est que Vivian ne se serait jamais laissé abattre par un simple humain. Pourtant, je ne perçois aucune trace de magie sur elle ou autour d’elle.
— Les légistes vont embarquer le corps, annonce Gallagher. Martin, on bouge, il y a une autre alerte.
Je me redresse et me tourne vers lui, suspicieuse.
— Une autre alerte du genre ?
— Du genre charnier dans la forêt de Roslin Glen, répond notre boss avant d’arrêter un subalterne. Deux thermos de café dans ma voiture, s’il vous plaît.
Je retire mes gants et m’apprête à leur emboîter le pas quand Gallagher me bloque.
— Tu restes ici. Il faut quelqu’un pour surveiller qu’aucune pièce à conviction n’est compromise.
— Mais…
— C’est un ordre, détective Evans. Veillez sur votre amie jusqu’à ce qu’elle soit emmenée.
Rester ici, c’est accepter qu’elle ne reviendra pas et que je ne peux rien y faire. J’ai besoin de bouger, d’être active pour ne pas penser. Pour ne pas être submergée.
— Martin, avec moi, poursuit notre patron. J’espère que tu es en forme, car il y en a pour toute la nuit.
La main tiède de Kai frôle la mienne, brûlante.
— On se voit demain, m’encourage-t-il. Dès que c’est géré ici, rentre chez toi et repose-toi.
— Appelle-moi quand vous en aurez fini, répliqué-je. Je ne dormirai pas.
Il hoche la tête et suit Gallagher.
Je me retrouve seule avec le cadavre de mon amie. Je ne peux plus la regarder sans prendre le risque de m’effondrer. Je connais bien les émotions qui menacent de m’engloutir. Je les ai déjà subies et elles ont failli me noyer. Je me suis promis de ne plus jamais les laisser faire. Alors je verrouille ce qui peut l’être et me concentre sur les éclaboussures au mur et au plafond. Elles sont assez étirées et espacées pour témoigner de la force des coups. Il y a beaucoup de rage là-dedans et de la peur aussi.
Dans quoi tu t’es fourrée, Vivian ?
— On peut enlever le corps ? me demande un médecin en combinaison.
Je sors mon téléphone et prends en photo la scène de crime pour l’analyser à postériori. Quand je ne serai pas à deux doigts de craquer.
— Allez-y.
Je me détourne alors qu’ils apportent le brancard avec le sac mortuaire. J’en ai vu des housses noires dans ma vie, mais peu qui m’ont fait autant de mal.
Le son de la fermeture éclair me fait relever le menton et mon regard atterrit sur le mur où Vivian était jusque-là adossée.
J’attrape un des scientifiques pour le positionner devant moi avec son appareil photo.
— Vous avez un nouvel indice, déclaré-je.
Là, devant nous, deux lettres tracées d’un doigt ensanglanté et fébrile.
N.F.
L’adrénaline rugit dans mes veines.
J’imite le policier qui me remercie d’un signe de tête, prends mon cliché et accède ensuite au répertoire de mon téléphone. J’attends que la médecine légale et la scientifique déguerpissent pour appuyer sur le bouton « appeler ».
Briar répond au bout de deux tonalités.
— J’ai bien cru que tu ne me contacterais jamais ! On s’attaque à qui cette nuit ?
— Personne, répliqué-je d’une voix dure, mais on va bien aller quelque part.
— Où ça ?
— À la morgue, on se retrouve dans 1 heure au croisement entre Cowgate et Blackfriars Street.
[1] Quartier de l’ancien port principal de la ville, le long de la côte au nord d’Édimbourg.
CHAPITRE 3
Dawn
Briar arrive avant moi. Sécuriser la scène de crime qu’est devenu l’appartement de Vivian m’a demandé plus de temps que prévu. J’ai même dû donner un coup de main aux policiers assaillis par les premiers journalistes. Comme si attirer l’attention des voisins n’avait pas suffi…
— Tu me donnes rendez-vous à un endroit assorti à ta tête d’enterrement ? attaque celle que je considère comme ma plus proche amie sur Terre.
Je claque la porte de ma voiture garée le long du trottoir face à l’université d’Édimbourg à proximité immédiate de la morgue. En silence. Briar n’insiste pas.
Contrairement à son habitude, elle porte une jupe longue et sombre ainsi qu’une veste en cuir dans la même tonalité. Adieu robes à fleurs et bandeaux soulignant sa longue crinière dorée.
— Je me suis dit que pour l’occasion… me précise-t-elle en suivant mon regard. Tu m’expliques ?
J’avance et elle m’emboite le pas. Nous tournons à gauche au niveau du parking universitaire et longeons une rue pavée. Je nous arrête à l’arrière du bâtiment de la morgue et écoute ce qui nous entoure.
Le moteur caractéristique d’une fourgonnette me parvient. Celle de la médecine légale. Ils ne vont pas tarder à partir.
— C’est Vivian, annoncé-je en un souffle. On l’a retrouvée chez elle, poignardée. Elle est morte.
Je tente comme je peux de transmettre l’information sans y mettre la moindre émotion, de garder un ton neutre, celui attendu par ma fonction, mais ma voix se casse sur la dernière syllabe. La main de Briar enserre mon bras dans un geste compatissant.
— Vivian ? LA Vivian Redwood ? LA sorcière qui règne sans le vouloir sur Édimbourg ?
— Elle-même.
— Putain… je suis désolée.
Je perçois la variation de son rythme cardiaque qui s’emballe un peu plus marquant sa surprise. Son incompréhension. Nous sommes deux.
— Ils ont emmené le corps ici et j’aimerais que…
— Oui, pas de soucis, confirme Briar en retrouvant contenance. Je peux regarder.
Du mouvement vers l’entrée du bâtiment me fait nous plaquer contre le long mur en pierre bordant la route. Des portières claquent, le moteur de la fourgonnette vrombit un peu plus et le silence de la nuit nous enveloppe.
— Il y a des caméras au niveau de l’accès principal, expliqué-je, on ne va pas passer par là.
— Tu n’es pas officiellement sur l’enquête, alors.
— Pas vraiment. Je n’aurais même pas dû savoir, mais Kai m’a menti et je l’ai suivi.
— Je suis désolée, répète-t-elle.
Ma meilleure amie sait combien chaque mensonge proféré me coûte et m’isole un peu plus.
— C’est comme ça. Tu vois les fenêtres en hauteur ?
— J’imagine que tu vas me faire la courte échelle ?
Un léger sourire s’épanouit sur mon visage et l’adrénaline gonfle mes veines. Entrer par effraction dans la morgue et nous faire attraper entachera définitivement mon dossier.
Nous remontons jusqu’au niveau où l’écart entre la route et le premier étage du bâtiment est le plus mince et jetons des coups d’œil à gauche et à droite. Personne. Je grimpe sur la rambarde fixée au mur. Il ne me faut qu’une légère impulsion pour casser le mécanisme de la fenêtre coulissante et pénétrer dans un bureau vide. Je tends la main vers l’extérieur, attrape Briar et la hisse vers moi en contractant les muscles de mon bras.
— J’ai tellement l’impression d’être une brindille avec toi, s’amuse-t-elle en défroissant sa jupe.
— Toujours là pour faire plaisir. Tu as de la menthe sur toi ? Ou des feuilles qui sentent bon ?
Mon amie dégage une petite besace de sa veste en cuir et fouille dedans avant de me donner de quoi supporter les émanations qui nous attendent. Malgré la ventilation, mon odorat est constamment mis à l’épreuve quand je viens ici.
Briar se fourre deux boules de menthe dans les narines et m’emboîte le pas, direction les sous-sols.
— Comment c’est possible d’entrer aussi facilement… ?
— Le vol de cadavres n’est pas la spécialité de la ville, chuchoté-je en étendant mes sens au maximum.
Aucun son ne me parvient à part celui des vidéos que le gardien à l’accueil regarde. Je pousse en douceur la porte donnant sur une volée d’escaliers supplémentaires et fais signe à la sorcière de s’y rendre. Ma vision nocturne me permet de me déplacer sans soucis, mais ce n’est pas son cas. Une bille de lumière apparaît au bout de son index et diffuse son léger halo autour de nous.
— Caméra, annoncé-je avant d’entrer dans le couloir menant aux salles d’autopsie.
— Je m’en occupe.
La bulle à son doigt disparaît et elle l’agite en pointant l’appareil. Le fil d’alimentation se décroche pour pendouiller le long du mur.
— Je t’ai déjà dit que j’adorais tes pouvoirs ?
— Je sais que tu aurais aimé naître sorcière, me taquine Briar, mais que veux-tu, tout le monde ne peut pas recevoir les faveurs de la déesse de la lune.
Je retiens une grimace au mot faveur.
S’il y a bien un terme qui ne convient pas quand je pense à Xira, nom que donnent les loups à la déesse, c’est bien celui-là. C’est de sa faute si ma vie est émaillée de déceptions. Mais ce n’est pas le moment d’y songer.
Nous longeons les nombreuses portes, regardant par les hublots jusqu’à débusquer la salle où Vivian a été installée.
— Prête ? demandé-je, une main sur la poignée.
— Franchement ?
La moue de mon amie répond à sa place. J’ouvre et nous nous glissons à l’intérieur. Malgré la menthe censée préserver mon odorat, les effluves des produits chimiques me percutent de plein fouet. Je me retiens à grande peine de faire demi-tour.
— Fais vite, supplié-je alors que Briar s’approche de la table d’autopsie.
Le corps de Vivian est protégé par un drap blanc qui remonte jusqu’à ses clavicules. La lame qui lui a été fatale est toujours en place et en attente de l’examen du légiste. Je déglutis et reporte mon attention sur mon amie.
La sorcière qui m’accompagne incline la tête devant la victime en signe de respect et murmure ensuite des paroles appartenant à son ordre. Je la laisse faire, essayant de calmer ma respiration comme mon besoin maladif de fuir cet endroit.
Briar soulève doucement la protection, la descendant jusqu’à la taille, révélant la peau livide de notre amie. Lividité accentuée par la lumière froide des spots au plafond.
La sorcière retire ensuite ses chaussures et s’ancre dans le sol, une main survolant la poitrine dénudée de Vivian jusqu’au poignard.
— Il y a des marques de lutte, commenté-je en m’approchant.
— Chut, je ne fais pas ça tous les jours, je suis rouillée.
Briar ferme les yeux et ses lèvres remuent en silence. J’obéis tout en me concentrant sur les bleus parsemant l’épiderme de la victime. Vivian s’est débattue, ne s’est pas laissé faire. Les contusions plutôt larges donnent un indicateur sur la stature de son agresseur. Pas de traces d’ongles sur sa peau. J’observe, maintenant qu’elle est déshabillée, une estafilade au niveau de son bras. Elle s’en est servi de bouclier. En me penchant un peu plus sur ses mains, je repère aussi des marques de brûlure.
— Elle a tenté d’utiliser ses pouvoirs pour fuir, saisis-je.
La magie des Voyageurs lui permettait de maîtriser l’espace et les dimensions, comme tous les gardiens des Passages entre les mondes. Elle aurait pu se téléporter ailleurs. Elle a essayé, sans succès. Les traces sur ses mains en témoignent.
Quand un sort n’est pas exécuté correctement ou arrêté précipitamment, son lanceur en porte les stigmates. Un tribut à l’énergie employée.
— Il s’agissait bien d’une lame surnaturelle, sûrement en nihilite mais je ne peux pas t’en dire plus sur son origine, elle a perdu toute sa magie au moment où sa mission a été accomplie. Tu vois la rune, là ? Très légère, presque invisible à l’œil nu ? Elle sert à faire passer ce métal pour un métal humain une fois qu’il n’est plus utile.
Un frisson intense me fait tressaillir alors que j’enregistre les informations que me donne Briar.
— De la nihilite ? demandé-je en pointant l’estafilade à son bras. Le métal qui absorbe toute essence magique ?
— L’empêchant ainsi de se soigner, appuie Briar. La première coupure a dû lui enlever momentanément l’accès à ses pouvoirs jusqu’au coup dans le ventre pour la vider définitivement de sa magie. Elle a ensuite perdu son sang.
— C’est un crime surnaturel.
— Je te le confirme.
— Tu sais s’il y a beaucoup de sorciers alchimistes à Édimbourg ?
Ils sont les seuls à pouvoir manipuler les matériaux comme la nihilite pour leur donner leurs spécificités.
— Il y en a, mais ils sont régulièrement obligés de rentrer pour refaire leurs stocks et transporter de la nihilite est particulièrement surveillé. Je peux me renseigner, ce sera plus simple si c’est moi.
— Merci.
Briar recouvre le corps de Vivian avec douceur avant de récupérer ses chaussures. Au moment où nous nous dirigeons vers la porte, je l’attrape et la plaque contre le mur, un regard tourné vers le hublot, les sens en alerte.
— Il y a quelqu’un, chuchoté-je.
Plusieurs d’ailleurs, si j’en crois le son des roues progressant dans le couloir.
— Installez-les dans la même salle, ordonne Gallagher.
Merde. Ils ont fait vite.
— D’autres arriveront dans les prochaines heures, il nous faut de la place !
— C’est un putain de carnage, grogne la voix de Kai.
Comme si ça ne suffisait pas.
— On va pouvoir les identifier ?
— Il va falloir, surtout si on veut calmer la presse. J’ai repéré une de leurs voitures au moment où on repartait. Fais voir le plan des salles.
Mon coéquipier doit obéir, car ils ne disent plus rien pendant quelques secondes.
— Vivian Redwood est dans celle-là, souligne mon patron en se rapprochant de la pièce où nous nous cachons.
Putain, là c’est la merde.
Ma respiration se hache alors que je garde la main sur la poignée et resserre mes doigts dessus. Je positionne mon pied de façon à coincer la porte. Je ferme les yeux et retiens la première poussée de Gallagher. Le cœur de Briar rate une pulsation dans sa poitrine. Le mien danse un flamenco.
Le battant reste en place et tout mon corps se rigidifie.
Nouvelle tentative.
Je bloque sans un effort de plus.
La poignée tressaute entre mes doigts.
— Martin ! Va à l’accueil et demande une clé passe-partout ! Ils ont fermé la porte en partant !
La colère de Gallagher est palpable, même à travers le hublot. Son ombre s’agite pendant encore un instant, puis il disparaît et nos respirations se calment.
— Rappelle-moi de ne plus jamais accepter tes plans foireux, grommelle Briar.
— Oui, c’est bon, ici, vous pouvez aller chercher les corps suivants, bougonne mon patron depuis une autre pièce.
— On a cinq secondes pour évacuer, soufflé-je tout bas.
Mon ton se fait sans appel et la sorcière ne rechigne pas. Je vérifie que le couloir est libre, ouvre la porte et me projette dans la salle d’autopsie d’en face, mon amie sur les talons.
Gallagher réapparaît dans le couloir un quart de seconde plus tard.
— C’est pas du tout bon pour ma tension, insiste Briar. J’étouffe avec ces machins dans le nez !
— Tu pourras fumer tout ce que tu veux, mais après.
D’une pression de la paume autour de son bras, je la réduis au silence et observe les agents de la médecine légale repartir avec leurs chariots vides. Ils ont installé au moins deux corps en provenance du charnier.
Ce terme, ainsi que celui utilisé par Kai, « carnage », m’empêche de quitter les lieux tout de suite.
Justement, mon partenaire revient avec une clé qu’il glisse dans la serrure de la salle où repose Vivian.
— Vous êtes sûr d’avoir poussé plutôt que tiré ? commente ce dernier quand la porte s’ouvre sans soucis.
— Prenez-moi encore pour un con et ça va mal se passer, Martin ! On se dépêche ! J’aimerais bien dormir quelques heures avant de retourner au bureau.
Gallagher est sur les dents, perdant complètement patience. Je déteste quand il est comme ça et Kai, instinct de survie oblige, ne relance pas. Après tout, ça arrive à tout le monde de se tromper de sens face à une porte, non ?
Mes deux collègues entrent dans la salle et leurs voix sont étouffées par les murs entre nous.
— Suis-moi, ordonné-je à Briar en retournant dans le couloir et en marchant sur la pointe des pieds.
— Je te hais, je te hais, je te hais.
Elle dit ça, mais au fond, je sais qu’elle adore. C’est pour ça qu’elle travaille avec moi et m’aide à retrouver les surnaturels de la Liste.
Je retire les boules de menthe dans mes narines et me laisse porter par les odeurs environnantes. Celle fraîche de décomposition avancée me fait entrer dans une autre pièce.
— Dawn ! siffle Briar au bout de sa vie.
Désolée, mais je dois savoir.
Le battant se referme derrière elle et elle retient un cri d’horreur. Le mien reste bloqué au fond de ma gorge.
Les cadavres ramenés de la forêt de Roslin Glen me donnent la nausée. Je repositionne la menthe, sans succès. J’ai autant envie de vomir par les yeux que par le nez.
Couverts de terre, dans un état de pourrissement innommable je constate tout de même de nombreuses balafres boursouflées par l’infection sur leurs peaux. Des entailles que je connais bien pour les avoir déjà observées. Des incisions pleines de haine et de douleur.
Les dépouilles sont méconnaissables, mais j’imagine sans mal leurs traits brisés par la souffrance.
— C’est quoi cet enfer, murmure Briar toujours bloquée au niveau de la porte.
— Une réponse que je ne souhaitais pas avoir, répliqué-je. Cette fois-ci, on dégage avant qu’ils reviennent.
La sorcière ne se fait pas prier. Kai et Gallagher se trouvent encore avec le corps sans vie de Vivian et je les entends parvenir aux mêmes constatations que moi. Il y a eu lutte et le suspect serait plutôt un homme.
J’attrape Briar par la main et nous fonçons dans les escaliers. Elle me fait assez confiance pour ne pas utiliser sa magie ou alors la peur d’être surprise et de voir notre vie se compliquer tout à coup lui donne des ailes.
Une fois dans les bureaux à l’étage, je l’aide à rejoindre le trottoir, enjambe la fenêtre et la fais coulisser comme si de rien n’était. Nous courrons jusqu’à ma voiture où la sorcière monte à mes côtés. Je glisse la clé dans le contact, mais ne démarre pas.
— Dawn ? s’inquiète mon amie. Ça va ?
Je secoue la tête.
Mon esprit se met à tournoyer à toute allure.
Vivian.
La lame en nihilite.
Les initiales inscrites sur le mur avec son sang.
Le charnier dans la forêt.
Les balafres.
Presque tout me ramène à un épisode de ma vie que je souhaite plus que tout oublier.
Malheureusement, les souvenirs, c’est comme les mensonges. Ils me poursuivent et ne me laissent aucun répit.
— Je dois rentrer à Nightford.
—
Ces premiers chapitres t’ont plu ? Tu pourras retrouver la suite de l’histoire de Dawn sur Amazon le 19 février !
Abonne-toi à mon compte instagram ou à ma page auteur sur Amazon pour ne pas manquer la sortie !
A très vite !
Bénédicte P. Durand