Les 3 premiers chapitres de L’héritage de sang gratuitement ! 

Merci énormément pour ton intérêt pour cette histoire ! Tu trouveras ci-dessous les 3 premiers chapitres de la trilogie « L’héritage de sang » qui met en scène une humaine au milieu de vampires et de loups-garous et qui n’avait strictement rien demandé… encore moins un garde du corps grognon !  

Si tu aimes les rebondissements, la magie, le suspense et la romance slow burn, cette histoire est pour toi !

Ci-dessous les 3 premiers chapitres du 1er tome !

Bonne lecture ❤️

Bénédicte P. Durand

CHAPITRE 1

 

L’air froid porte les odeurs du bar dans ma direction. Toutes ces senteurs musquées, fruitées… toute cette vie qui palpite dans leurs veines et qui chatouille mes narines.

Je m’en repais.

J’en inspire toutes les nuances, toutes les saveurs, imaginant ma langue parcourir leurs épidermes, suivre leur flux sanguin. Je songe à leurs frémissements, à leur abandon entre mes mains, à leurs corps si chauds qu’ils raviveront le mien. Mes crocs percent mes gencives à cette pensée. Un sourire naît sur mon visage figé pour l’éternité.

Tant de proies à ma portée.

Tant d’âmes prêtes à succomber.

Elles l’ignorent encore, mais leur fin approche.

Je les observe tous, ces humains naïfs loin d’imaginer que des monstres sont entrés dans leur douce ville…

Ils profitent de leur courte vie, boivent jusqu’à plus soif, éclatent d’un rire sonore, dansent devant les tables.

Malgré la buée sur les vitres du bar, je les vois. Je les sens. L’alcool change peu à peu leurs odeurs, les rendant encore plus désirables. Plus savoureux. Plus faciles à attraper.

La nuit est tombée. Une légère brise balaie mon manteau noir et caresse mes chevilles nues.

Peu importe la pluie glacée, le froid, le soleil, je n’ai pas bougé depuis quatre jours. J’attends mon heure sous le couvert des arbres le long de la route.

Si j’avais encore un cœur, le mien battrait à tout rompre à mesure que les minutes et les heures passent.

Bientôt.

Très bientôt.

Ils ne se doutent de rien et mon excitation augmente.

Ma faim aussi. Car c’est toujours le même manège, la même tentation à ignorer.

Après le service de jour où il m’est impossible d’agir vient celui du soir. La nuit, ma soif devient difficile à contrôler. Plus ils bouillonnent, s’enivrent, plus je dois me contenir, rester maître de moi-même.

Je cherche un point d’ancrage dans cette masse enfiévrée, une personne pour détourner mon attention de ce désir maladif qui m’envahit.

Je la trouve rapidement, comme tous les soirs.

La serveuse.

Elle est la seule à ne pas boire, même si son parfum m’attire autant que les autres. Ce sont ses gestes bien rodés qui endorment mes envies. Sa routine est hypnotique. Je la vois bien depuis ma cachette. Elle serait de toute façon reconnaissable entre mille.

Ses cheveux auburn tirés en arrière dans une queue de cheval luisent sous les lumières chaudes des appliques murales. Son regard est aussi vert que la forêt d’où je viens. Ses joues sont rougies par l’effort et barrées d’un sourire sincère, mais triste. Elle cache une peine au fond de son cœur qui me réjouit. Rien n’est plus manipulable qu’un humain marqué par les épreuves. Ils en ont tous rencontré. Ils en sont esclaves.

La serveuse rit de bon cœur et s’empresse auprès d’une jeune femme blonde. Leurs odeurs mêlées affolent mes sens.

Si douces, si fruitées…

Ma gorge se serre par anticipation.

Ne pas aller trop vite.

Ne pas faire de choix inconsidéré.

Nous attendons ce moment depuis des années.

Elle est là, si près…

Résister devient soudain impossible.

Mes yeux suivent la serveuse au milieu des tables. La porte s’ouvre, se referme. Le son du carillon si aigu caresse mes tympans. Le bar se vide peu à peu.

Ma poitrine palpite de façon douloureuse. Ma vision s’affine et la salive envahit ma bouche. Ils ne sont plus que quelques-uns.

Ça y est, ma décision est prise.

Ma langue passe sur mes lèvres et rencontre mes canines proéminentes. Je respire soudain plus fort. Tout mon corps se tend. Je fais un pas vers le bar.

Oh oui, comme j’ai rêvé de cet instant.

 

 

CHAPITRE 2

Darcy

 

Le carillon sonne et je me redresse, affichant mon plus beau sourire, malgré la brise froide balayant la salle du Demonic Rum. Des frissons dévalent mes bras aux manches retroussées.

— Salut, Darcy !

— Salut, Erin !

J’adresse un signe de tête à la jeune femme blonde aux pommettes rosies par l’hiver qui vient d’entrer dans mon repaire ainsi qu’à son ami, tout en leur désignant une table libre parmi la multitude attendant les clients du soir.

— Installez-vous, j’arrive tout de suite !

Ils obtempèrent avant de se débarrasser de leurs bonnets, manteaux et écharpes, de grands sourires sur leur visage.

J’essuie le verre que j’ai entre les mains en laissant mon regard professionnel glisser une dernière fois sur la salle.

Un menu se trouve sur chaque table, la musique est en route, ni trop forte ni trop basse. La lumière des appliques murales réchauffe l’atmosphère, comme les radiateurs dissimulés derrière des panneaux en bois. De la buée envahit les carreaux des fenêtres donnant sur la nuit noire. Les décorations de Noël et du Nouvel An ont été retirées pendant mon absence.

Tout est parfait.

Je pose le verre propre avec les autres, me lave les mains, et resserre mon tablier autour de ma taille tout en rejoignant mes premiers clients de la soirée.

— Je vous écoute, lancé-je, tablette déverrouillée.

Je n’ai jamais connu le temps où les serveurs gribouillaient sur des calepins et tant mieux.

Même si le Demonic Rum est un bar tout ce qu’il y a de plus vintage dans la petite ville de Somerbury, son propriétaire a cédé à l’appel de la technologie dès qu’il en a eu les moyens. Je ne vais pas m’en plaindre.

Je clique sur la table no 12 du plan de salle et reporte mon attention sur les deux amis.

— Une pinte de bière légère, annonce le jeune homme.

— Et un Demonic Rum pour moi, jubile Erin. On peut avoir des frites ?

— Toujours, avec ce cocktail, répliqué-je, avec un clin d’œil, je vous apporte ça tout de suite !

La fidèle cliente du bar glousse et leurs murmures s’estompent lorsque j’atteins le comptoir.

Un sourire flotte sur mes lèvres. Ce n’est pas pour rien si ce lieu porte le nom de cet illustre cocktail.

Il n’y a rien de plus démoniaque sur Terre.

À tel point que je n’en connais pas l’ingrédient qui le rend si célèbre. C’est une mixture que Sal, le propriétaire du pub, élabore dans son coin, dans le plus grand des secrets.

Un cocktail excellent ET mystérieux.

Traître aussi, mais c’est bien la raison pour laquelle les clients viennent ici. Enfin ça, ainsi que les frites gratuites à chaque commande. Mieux vaut avoir le ventre plein avant de s’y attaquer…

J’incline le verre, laissant le liquide blond couler le long des parois, m’attelant ensuite à la préparation du mélange.

Le carillon sonne de nouveau ; d’autres clients arrivent. Ils me rendent mon salut en s’installant aux tables.

Les portes à double battant qui séparent la cuisine de la pièce principale s’ouvrent, livrant passage à mon patron.

Les manches du sexagénaire sont retroussées sur ses avant-bras épais et son tablier remonte jusqu’à son cou caché par une barbe blanche fournie qu’il entretient avec soin. Son regard bleu analyse la salle et se pose sur moi.

— Tu es sûre que tu n’auras pas besoin d’aide, Darcy ?

— Je gère, tu peux rentrer et profiter d’une soirée off.

— Va y avoir du monde, on est samedi, insiste Salvatore.

Il me tend la bouteille contenant sa mixture que je penche pour remplir le doseur. Le mélange atterrit dans le shaker garni de glaçons.

— Pas de soucis, je te dis que je gère !

— S’il y a le moindre problème, tu m’appelles, d’accord ?

— Promis !

— La cuisine ferme à 22 h, comme d’habitude, sauf pour les frites à volonté.

— Sal… Je ne suis partie qu’une semaine !

La barbe de mon ami s’étire dans un sourire. Ses yeux se plissent et il me donne un coup d’épaule affectueux.

— C’est comme si ça faisait une éternité, avoue-t-il.

— Je sais que tu ne peux plus t’en sortir sans moi.

Et rien que de le penser, ça me rend heureuse. Il ne m’aura fallu que quelques semaines pour me faire une vraie place à Somerbury, la ville où j’ai passé tous mes étés et où je vis désormais depuis un an. J’aime la simplicité que je trouve ici, le quotidien sans effervescence, la routine. C’est tout ce dont j’avais besoin après New York.

— J’ai fini par m’habituer à ta présence et à tout ton…

— Tout mon… ? l’encouragé-je.

Toi.

Son clin d’œil veut tout dire.

En effet, j’ai un peu imposé mes idées à mon arrivée. Miles à la cuisine s’en souvient. Nous ne sommes toujours pas les meilleurs amis du monde, mais ça roule bien désormais. Et de toute façon, il ne nous reste que 2 h 30 à se supporter avant la fin de son service.

— Les clés sont au même endroit que d’habitude, radote Sal avant de retirer son tablier. Si tu as le moindre…

— Je t’appelle, promets-je. Ça va aller, ce n’est pas la première fois que je gère la fermeture !

Le sexagénaire recule vers la cuisine, mains levées en signe d’apaisement, avant de disparaître, vaincu.

Ravie de la confiance qu’il me témoigne, j’apporte les boissons d’Erin et de son ami sans oublier les frites.

Le tourbillon de la salle m’engloutit ensuite.

Je suis partout : à la prise de commandes, au bar, à la cuisine pour récupérer les assiettes, aux tables pour débarrasser, lançant des sourires à tout va. Je fais tout pour que les clients se sentent bien.

C’est ce que j’aime le plus dans ma nouvelle vie. C’est pour ça que j’ai supplié Sal de me donner ce travail. Quand je suis à gauche, à droite, mon esprit passe en mode automatique.

Je laisse les consommateurs changer la musique du juke-box. Certains, debout, entament quelques pas de danse. D’autres ont investi le lancer de fléchettes dans un coin. Le carillon sonne plusieurs fois. Des clients sortent, d’autres entrent. L’ambiance est à la fête. Mes joues brûlent tant il commence à faire chaud. On ne voit presque plus dehors.

Je suis derrière le bar, remplissant quatre pintes, quand on m’interpelle, m’obligeant à lever la tête.

— Darcy ! s’écrie Erin en s’asseyant au comptoir.

— Encore des frites ?

— Seulement si tu me prépares ce qu’il faut avec !

Son ami a quitté les lieux, ce qui arrive souvent. La jeune étudiante fait régulièrement la fermeture avec moi. Je dois juste gérer son alcoolémie pour lui permettre de rentrer entière. Heureusement, la maison de ses parents n’est pas loin.

— Bois d’abord ça, l’encouragé-je en poussant un verre d’eau vers elle, et après on verra.

— T’as pas un soda, plutôt ?

Je décapsule une bouteille et la pose devant elle sans la mettre sur sa note.

— Wah ! Ça fait du bien !

— Tu es capable de rentrer ?

— Oui, oui ! Mais la soirée n’est pas encore finie !

Sa boisson disparaît en cinq grandes gorgées. Elle soupire et part jouer aux fléchettes avec d’autres jeunes du coin, en oubliant sa commande.

J’apporte donc les frites à leur table où elle pioche sans faire attention, trop occupée par la partie en cours. Erin me fait penser à celle que j’étais lors de mes propres années d’études. Insouciante. Pleine de vie. Toujours prête à s’éclater. Ma poitrine se comprime légèrement.

C’était le bon temps…

D’ailleurs, il faudrait que je rappelle Bella. Quelle heure il est à New York ? 2 h 30 du matin ? Ça fait un peu tard, même pour elle qui bosse beaucoup. Je n’ai pas très envie de la réveiller et de me faire engueuler.

— On va bientôt fermer ! annoncé-je. C’est votre dernière partie !

L’horloge accrochée au mur indique 23 h 30. J’arrête le service de cocktails, proposant uniquement de la bière légère aux consommateurs trop joyeux pour leur propre bien.

Lorsque ma montre affiche minuit moins cinq, je me poste devant la sortie avec un pot en verre. À l’intérieur, des éthylotests.

— Oh, nan, Darcy, se lamente un jeune homme au manteau mal boutonné.

— C’est le jeu, Bobby. Tu bois, tu souffles.

Le client du bar attrape un des bâtons, inspire par le nez et déverse tout ce qu’il a dans l’appareil.

— Nickel ! s’exclame-t-il.

— Tu es à la limite, signalé-je en consultant l’éthylotest. Fais attention sur la route.

— Oui, maman.

— Justement, pense à elle !

Et à ma conscience…

— À bientôt, Darcy !

Les habitués défilent, au garde-à-vous, se soumettant au jugement objectif des tubes. Je récupère deux clés de voiture et oblige leurs propriétaires à s’asseoir pendant que je leur appelle des taxis.

Ça fait partie des règles que j’ai ajoutées à mon arrivée. D’abord frileux, les consommateurs du Demonic Rum ont fini par s’y faire. Comme aux frites gratuites.

Au bout de dix minutes, les chauffeurs klaxonnent et j’aide les deux clients mal en point à rejoindre leurs carrosses, tout en leur répétant qu’ils retrouveront leurs biens demain à l’ouverture.

Ces quelques pas dehors m’arrachent des frissons. Qu’est-ce qu’il fait froid ! La chair de poule gagne même ma nuque.

Avant de franchir le seuil, je coule un regard alentour. J’ai une drôle d’impression. Pourtant, la route traversant le centre de la ville est déserte, il n’y a pas un chat. Qui voudrait être dehors à cette heure-là de toute façon ? Je frotte mes bras par réflexe et rentre.

— C’est l’heure, Erin !

— Déjà… !

— Il est minuit passé, je dois fermer. Tu verras quand tu auras mon âge…

— T’as que vingt-cinq ans !

— Crois-moi, j’ai encore besoin de mes 8 heures de sommeil.

La jeune fille éclate de rire et récupère ses affaires. Elle tangue sur ses petits talons et je l’aide à enfiler son manteau. Elle garde son écharpe rouge à la main.

— Tu devrais la mettre…

Depuis quand ai-je un aussi fort instinct maternel ? Ah, oui ! Depuis que je suis serveuse dans un des seuls bars de la ville.

— À la semaine prochaine !

Erin me colle un baiser sur la joue avec un grand sourire.

— Prends soin de toi, réponds-je en l’accompagnant à la porte.

Une fois qu’elle est dehors, je la regarde se diriger vers l’arrière du parking qui lui permet de rentrer chez elle, en poussant le loquet.

Enfin seule.

La nuit derrière les vitres est toujours aussi noire. Toujours aussi déserte. Et cette chair de poule qui ne veut pas me quitter.

Je débarrasse les derniers fonds de verre, récupère les déchets de mes clients adorés et ramène le tout dans la cuisine. Miles est parti depuis bien longtemps, sans un mot.

Les assiettes et panières atterrissent à proximité de l’évier, je vide tous les récipients et enclenche plusieurs cycles de nettoyage avec le lave-vaisselle. Lorsque tout est propre et rangé, j’attrape les poubelles. C’est fou tout ce qu’on peut jeter.

Après pas mal de lutte contre les portes automatiques qui donnent sur la ruelle à l’arrière du bâtiment, je traîne les ordures vers les bennes installées contre le mur d’en face. Les soulever et les déverser dedans me demande mes derniers efforts de la soirée.

J’essuie enfin mes paumes l’une contre l’autre, quand un gémissement me fige sur place. Mes cheveux se dressent sur ma tête.

— Il y a quelqu’un ?

Mon murmure n’obtient aucune réponse.

J’observe le passage à peine éclairé par le vieux lampadaire du parking. Vraiment, il faut que j’en parle à Sal, ce n’est pas possible. Une ampoule, ça se change ! Et ça m’éviterait de trembler à chaque fois que je dois m’aventurer derrière le Demonic Rum.

Les battements de mon cœur résonnent dans tout mon corps. Je n’entends plus qu’eux, jusqu’à ce qu’un autre son, une faible plainte, me confirme que je n’ai pas rêvé.

Il y a bien quelqu’un dans la ruelle.

J’oublie le froid mordant. J’ose quelques pas sur la gauche, vers le noir. Je n’y vois pas grand-chose et ma gorge se serre.

Un bruit de succion brise le silence.

Devant moi, après les bennes à ordures, une masse appuyée contre la façade se devine. Les sons viennent de là.

J’avance dans leur direction et mon pied rencontre quelque chose de mou. Je me baisse, tends la main.

Une écharpe. Rouge.

Erin.

Un gémissement plus audible se fait entendre et la scène se dessine totalement. La jeune fille est maintenue contre le mur par quelqu’un penché sur sa gorge. J’ai un vertige, ma respiration s’accélère. C’est pas vrai ! Erin !

— Hé ! m’écrié-je. Lâche-la ! Tout de suite !

J’avance en enfonçant mes ongles dans mes paumes.

L’individu m’ignore totalement. Quand sa silhouette se révèle un peu plus dans l’obscurité, je réalise qu’il va me falloir plus que des mots pour le faire lâcher prise. Une nouvelle lamentation d’Erin me brise le cœur tout en dressant mes cheveux sur ma nuque.

Trouve quelque chose, Darcy. Vite !

Mon regard balaie la ruelle. Il y a bien des palettes, mais leurs bois sont accrochés les uns aux autres. Je n’ai qu’une écharpe à la main. Non, ! Une bouteille en verre !

Je m’en saisis par le goulot et la brandis devant moi tout en fouillant dans ma poche arrière pour prendre mon téléphone.

— Lâche-la ou j’appelle la police ! hurlé-je, malgré la peur qui me tenaille.

La silhouette se redresse, abandonnant le giron d’Erin. La menace n’a cependant pas l’air de l’émouvoir.

La tête de la jeune fille tombe vers l’avant.

Qu’est-ce qu’il lui a fait ?

Mes doigts tremblent trop pour que je parvienne à faire glisser le clavier digital vers les numéros d’urgence. J’essaie pourtant, sans le quitter des yeux. L’agresseur tient toujours Erin. Je ne vois pas ses traits, mais je l’entends. Il ricane.

J’ignore ce qui me prend. La bouteille est dans ma main. La seconde d’après, elle s’écrase contre le mur juste au-dessus de lui.

Le sifflement de l’assaillant me pétrifie sur place.

Il la lâche. Le corps d’Erin glisse au sol et je saisis qu’elle est inconsciente, sûrement sous le choc. La silhouette avance désormais lentement vers moi. Une ombre mouvante parmi toutes celles de la nuit.

Et la réalité me broie soudain les tripes.

Tu l’as vu. Tu l’as interrompu.

Maintenant, il va s’en prendre à toi.

Je recule. Trébuche. Me retrouve sur les fesses. Ma tête part en arrière, rencontre le bitume. Mon smartphone tombe et rebondit plus loin. Mes avant-bras nus s’écorchent sur le sol rugueux, dans l’incapacité de m’aider à me relever. Le sang pulse dans mes veines, entre mes tempes.

Il est tout près. Il va m’attraper d’une seconde à l’autre.

Je me retourne et rampe sur le ventre en essayant de me redresser. Un étau se resserre autour de ma cheville pour me tirer en arrière. Impossible de m’en défaire. Des ombres dansent dans la ruelle, ma vue se trouble. La panique m’empêche de respirer. Je ferme les yeux pour ajuster ma vision, pour contrôler ma peur. Les doigts remontent le long de ma jambe pour m’attirer un peu plus et tout mon corps se glace, pris de tremblements. Aucun son ne sort de ma bouche alors que je hurle à l’intérieur.

J’ignore ce qu’il a fait à Erin, mais je vais subir la même chose et je tire comme une folle pour me dégager. Mes paupières se ferment, tous mes muscles se tendent.

Un grognement soudain. Un cri.

La main qui disparaît et me libère. J’écarquille les yeux, incapable de réaliser ce qu’il se passe devant moi.

Une autre masse s’est jetée sur l’agresseur, l’emportant avec elle par terre. Une gueule dont les crocs captent la lumière claque à proximité du cou de mon assaillant. Celui-ci tient l’animal à bout de bras et des feulements furieux répondent à des grognements féroces.

Puis, aussi vite qu’elle est apparue, la vision s’efface, comme si elle n’avait jamais existé. Plus de cris, plus de grondements, rien.

La ruelle est vide et seul un nouveau gémissement d’Erin me pousse à me relever et à tituber dans sa direction.

CHAPITRE 3

Darcy

Je la rejoins en quelques secondes. Ses paupières sont closes. J’écarte ses cheveux pour dégager son visage. Je me positionne de façon à la voir dans la faible lueur du lampadaire.

— Erin ? Erin, tu m’entends ?

Elle ne réagit pas.

Je l’installe sur mes cuisses, au niveau de mon tablier. À l’instant où mes yeux atterrissent sur son manteau ouvert, sur sa gorge offerte au froid de janvier, j’oublie de respirer.

Du sang, partout, de sa mâchoire à son décolleté malmené. Des traces plus sombres le long de son cou ressemblent à des morsures.

— Merde, merde, merde ! Ne bouge pas !

Ma demande est aussi stupide qu’elle en a l’air. Erin ne peut pas bouger. Erin est blessée. Erin est peut-être morte.

Mes poumons brûlent à chaque respiration. Mon cœur martèle mes côtes. Je me relève, tâtonne pour retrouver mon smartphone à quelques mètres, le sang pulsant contre mes tempes. Je compresse l’une des blessures, la plus grosse, d’une main tandis que l’autre, fébrile, compose le numéro des urgences.

Le calme de mon interlocutrice ne m’apaise en rien. Je réponds à ses questions dans un état second, le regard perdu sur le corps d’Erin, la si jolie Erin. Ma cliente.

— Les secours sont en route, mademoiselle Rush, annonce l’agent.

La communication se coupe et je ne sais plus quoi faire. Mon téléphone regagne ma poche arrière et mes mains attrapent les pans de son manteau pour la couvrir un peu plus.

— Me lâche pas, Erin, s’il te plaît…

Ma vision se brouille, je ne vois plus que du rouge, de l’écarlate partout sur elle. Mes yeux me piquent autant que mes poumons. Je n’ose pas la bouger. Je tends seulement les doigts vers son nez pour me rassurer.

Elle respire encore.

Putain. Putain. Putain.

Tétanisée, je marmonne des paroles encourageantes, n’importe quoi pour remplir le vide intersidéral de la ruelle.

Elle est si pâle…

Les sirènes me tirent de ma léthargie. La lumière des gyrophares balaie les façades en brique et agresse autant mes rétines qu’elle me donne de l’espoir. Des pas précipités viennent dans ma direction. Une main se pose sur mon bras, accompagnée de mots que je ne parviens pas à identifier.

On me soulève en douceur et on m’écarte d’Erin. Je suis soudain enveloppée dans une couverture fine et dorée. Je la serre contre moi par réflexe.

— Mademoiselle Rush ?

Il me faut quelques secondes pour réaliser qu’on s’adresse à moi. Une femme me contemple, son visage au niveau du mien, soucieuse de mon état. Mes dents s’entrechoquent. Je suis gelée.

— Je… Erin ?

— Nous allons l’emmener à l’hôpital, elle a perdu beaucoup de sang.

Beaucoup de sang…

J’étreins un peu plus la couverture de survie et mon regard alarmé lui fait poser une main sur mon épaule.

— Vous avez fait ce qu’il fallait, me rassure-t-elle. On prend le relais. Je reste avec vous jusqu’à l’arrivée de la police.

La police…

Elle m’accompagne jusqu’au tas de palettes tout en me donnant un verre d’eau qu’elle a récupéré dans l’ambulance, puis me propose une boisson chaude que je refuse.

— Vous êtes frigorifiée, insiste la secouriste.

Elle regagne son véhicule. Un homme et une femme en uniforme surgissent depuis le parking.

— Mike Dawson, adjoint du bureau du shérif, et ma partenaire, Lila Smith, se présente le policier en me rejoignant. C’est vous qui avez appelé ?

Je confirme d’un signe de tête. L’ambulancière revient déjà avec un chocolat chaud qu’elle me colle d’office entre les doigts avant de repartir, sa mission accomplie. La chaleur du gobelet se diffuse instantanément sur ma peau et me fait un bien fou, tout comme son odeur réconfortante.

Les deux adjoints me posent des questions sur mon identité, sur la raison de ma présence ici. Je mets du temps à répondre, mais ils patientent tandis que la femme prend des notes.

— Vous avez vu l’agresseur ?

— Pas vraiment, avoué-je en baissant les yeux vers le sol.

— Pas de signe distinctif qui vous a frappée ?

Je secoue la tête. De nouveaux frissons parcourent ma nuque en songeant à ce que j’ai cru apercevoir, à ce que j’ai ressenti.

— Erin…

— Votre amie part à l’hôpital, me confirme l’adjoint Dawson au moment où nous entendons les portes de l’ambulance claquer. Nous avons déjà prévenu sa famille.

Les gyrophares s’enclenchent et le véhicule de secours démarre, nous laissant seuls dans la ruelle.

— Le sang… murmuré-je.

— Il y en avait beaucoup, appuie la femme. Que s’est-il passé une fois que vous l’avez surpris ?

— J’ai… j’ai essayé d’appeler la police… j’ai lancé une bouteille pour qu’il la libère…

— Et ? Il a lâché votre amie ?

J’approuve en silence.

— Il s’en est pris à vous ?

Je baisse la tête. Je suis tombée. Il me tenait et me tirait vers lui, mais il n’a rien fait. Il n’a rien pu faire parce que… un animal a surgi de nulle part ? Comment l’expliquer ? Ai-je seulement bien vu ?

— Mademoiselle Rush ?

— N… non, il ne m’a rien fait.

Les adjoints échangent un regard et reportent leur attention sur ma personne. Je me recroqueville dans ma couverture dorée.

— Il a pris la fuite ? m’interroge Smith. Juste comme ça ?

Je cligne des yeux, essayant de remettre de l’ordre dans mes pensées. Je passe un doigt sur l’arrière de mes cheveux, là où une bosse se forme.

— Il est parti, soufflé-je.

— Vous n’avez rien de plus à nous dire ? insiste-t-elle.

— Je… je ne me souviens plus. Je… je me suis cogné la tête par terre.

Je ne fais pas confiance à mes yeux.

Peut-être ai-je tout simplement rêvé. En plus, je commence à avoir mal au crâne.

— Elle est sous le choc, commente Dawson. Appelle le gérant du bar, qu’il soit mis au courant.

Je ne réagis même pas à la mention de Salvatore. Mon regard se fixe par terre, là où mes pieds disparaissent sous la couverture de survie.

J’ai rêvé, non ? Il n’y avait pas d’animal. C’est impossible. Pourtant, Erin a bien été blessée.

J’ignore combien de temps je passe ainsi, à contempler un caillou, sans dire un mot. Une main apparaît finalement dans mon champ de vision, me tendant une carte de visite que j’attrape.

— Voici ma ligne directe, m’explique le policier. Vous pouvez m’appeler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit si quelque chose vous revient.

Un bruit de moteur, une voiture qui dérape et une portière qui claque attirent notre attention. Sal surgit, le visage hanté, et se positionne à mes côtés, plaçant une paume sur mon épaule.

— Darcy, tu vas bien ?

— Ou… oui, ça va.

Je ne souhaitais pas l’inquiéter.

— Mademoiselle Rush ? me demande l’adjoint. Veuillez ne pas quitter l’État pendant que l’enquête suit son cours.

Son ton me fait tressaillir.

— Je dois appeler mon avocat ?

Il penche la tête sur le côté, surpris.

— Pourquoi donc ? Non, vous êtes notre seul témoin et nous pourrions avoir besoin de vous plus tard. Reposez-vous. Monsieur Riviera ? Vous pouvez la ramener chez elle ?

— Ce sera fait.

Les policiers rejoignent leur voiture et s’en vont. Un des leurs a déjà déroulé les rubans jaunes interdisant d’accéder à la zone.

— On récupère tes affaires et on rentre, m’encourage mon patron.

Je le suis tel un automate jusqu’à son véhicule. Un automate qui ne réalise pas totalement qu’il est impliqué dans une agression alors qu’il aspirait juste à une vie tout ce qu’il y a de plus tranquille, dans une petite ville.

Sal revient quelques minutes plus tard avec mon manteau et mon sac qu’il balance sur la banquette arrière.

— Tu restes chez toi demain, m’annonce-t-il.

Ah, non. Non ! M’imaginer seule pendant toute la journée m’est tout à coup insurmontable.

— Je préfère bosser.

Il secoue la tête.

— Il n’y aura pas grand-monde, poursuit-il, on est capables de gérer avec Miles et tu devrais te reposer.

— S’il te plaît, le supplié-je, j’ai besoin de travailler.

Je crois qu’il ne m’a jamais entendue parler ainsi.

— Tu es sûre ?

— Certaine, décrété-je d’une voix rauque.

— Comme tu voudras. Je viendrai te chercher.

— Merci.

Le moteur vrombit et je regarde disparaître le bar dans le rétroviseur extérieur. Je colle mon front à la vitre. De la buée se forme immédiatement sur le verre, là où mon souffle se dépose. Je ne devais pas assister à ça.

À la base, je voulais seulement sortir les poubelles.

***

Je me réveille le lendemain dans le brouillard au sens propre comme au sens figuré, en début d’après-midi. L’abri, la petite maison dans les bois où je vis depuis un an, est le même qu’hier et pourtant, il me semble différent.

C’est moi qui suis différente.

Quand Sal m’a déposée, je suis rentrée chez moi et j’ai fermé à double tour avant de mettre plusieurs bûches dans la cheminée. Une habitude que j’ai prise lors des coups de froid fréquents dans la région.

Je me suis écroulée dans mon lit, dans ma chambre gelée par la nuit, encore sous le choc et incapable de me déshabiller. Je n’ai même pas entendu la voiture repartir. J’ai cependant eu le bon réflexe de mettre à charger mon smartphone qui clignote déjà de plusieurs notifications.

Les messages sont bien la seule chose qui passe ici.

Salvatore m’a écrit, ainsi qu’Evan, mon meilleur ami. Mon patron a dû le prévenir dès qu’il en a eu l’occasion et il se maudit sûrement de ne pas pouvoir venir me voir.

Avec ses horaires d’interne en chirurgie à Seattle, il n’a presque pas une minute à lui. Ce qui le rend dingue, comme le soulignent ses textos de plus en plus lyriques. Je le rassure en quelques mots, puis laisse retomber l’appareil sur ma couette.

Allez, du nerf, Darcy.

Je me lève, me débarrasse de mon tablier plein de sang, et file sous la douche pour me décrasser le corps comme l’esprit. L’eau chaude qui dévale ma peau me rassérène et j’écarte toutes les pensées négatives en me focalisant sur les gouttes. C’est une nouvelle journée. Tout va bien.

Je me brosse les dents, sèche mes cheveux et me dirige vers la penderie, une serviette autour de la poitrine. Quand mes yeux se posent sur un col roulé vermillon, je retiens mon souffle.

Le décolleté sanguinolent d’Erin se rappelle à ma mémoire en un instant. Ma vue se brouille et je me dépêche de prendre un haut gris, près du corps, dont je peux relever les manches facilement. J’enfile ensuite un jean noir et serre mes bottines.

Un pull et un manteau plus tard, je rejoins Sal qui m’attend devant la cabane et monte à ses côtés dans la voiture.

Il ne me demande pas comment je vais, me laissant parler si j’en ressens le besoin. Ce qui n’est pas le cas. Je reste silencieuse pendant tout le trajet et il n’insiste pas. Mon boss est un amour. Je ne le mérite pas, c’est une certitude.

Une fois que nous sommes arrivés sur le parking, je descends du véhicule et fais face au Demonic Rum. Les mains dans les poches de mon manteau, j’observe le bâtiment sans un mot, évitant de concentrer mon attention vers l’arrière. Sal me tient déjà la porte.

— Rentre ! Il fait froid !

J’obéis et retrouve tout de suite mes marques. Comme si rien n’était arrivé.

— Je m’occupe de préparer le bar, annoncé-je.

— Tu as un tablier propre dans le vestiaire, m’annonce mon patron.

Je range mes affaires dans la pièce dédiée, récupère ledit tablier que j’attache autour de mes hanches, en regagnant la salle. Mon chef essuie les dernières tables.

— On a des nouvelles ?

Ma gorge se serre quand je pose la question.

— J’ai eu ses parents tout à l’heure. Elle n’est pas en bon état, mais elle a passé la nuit. Tu lui as sauvé la vie, Darcy.

Ma grimace ne lui échappe pas, même en me détournant vite pour porter mon attention sur les verres à ranger.

— Elle a perdu beaucoup de sang, mais elle va s’en sortir. Les médecins sont confiants.

— Tant mieux, bredouillé-je.

— Tu sais, tu peux vraiment prendre ta journée, insiste mon patron. Je peux gérer tout seul.

— J’ai besoin de m’occuper l’esprit.

Il apparaît tout à coup devant le comptoir et je lève les yeux vers lui.

— Tu te souviens de quelque chose ?

— C’est flou, répété-je, comme à la police.

Même si depuis mon réveil, je ne peux m’empêcher de songer à ma vision, à la créature que j’ai cru voir surgir entre l’agresseur et moi. Elle ressemblait à un gros chien. À un gros loup. Je frissonne et secoue la tête, chassant cette pensée. Ce n’est pas possible. Mes yeux m’ont joué des tours. Ce ne serait pas la première fois.

— Je fais passer des entretiens pour recruter un videur, m’annonce tout à coup Sal. J’en ai déjà vu deux depuis ce matin.

— Un videur ?

Mes sourcils froncés parlent pour moi. Un videur est normalement là pour gérer la clientèle à l’intérieur, pas celle qui fait n’importe quoi à l’extérieur.

— Un videur, un garde du corps, un gros bras, appelle ça comme tu veux. L’agression a déjà fait le tour de la ville. Les gens sont inquiets, je ne souhaite pas que ça ait un impact sur le commerce et la sécurité de mon personnel, de mes amis. Peu importe combien ça me coûte.

Mes traits s’étirent en un sourire qui ne monte pas à mes yeux. Parler de tout ça me colle le bourdon.

— Salut, Darcy, nous interrompt Miles en passant une tête depuis la cuisine.

Oh, étonnant. Il me dit bonjour, maintenant ? Je pose la pinte que j’ai dans les mains et les frotte contre mon tablier.

— Salut, Miles !

Le chef disparaît sans demander son reste, lui-même surpris de notre échange cordial.

— Il culpabilise un peu, me souffle Sal.

— Pourquoi ? Il n’aurait rien pu faire.

Je n’ai rien pu faire.

— On vous a laissées seules, poursuit mon patron.

— Vous ne pouvez pas être là tout le temps, répliqué-je, c’est le principe d’avoir des back-up. On se remplace les uns les autres pour avoir une vie à côté.

— Il est propre, celui-là, m’indique Sal en désignant le nouveau verre que j’ai entre les mains et que je m’apprête à passer sous l’eau.

— Désolée.

— Il n’y a pas de mal. J’ai un entretien dans quelques minutes.

Il ponctue son annonce d’une tape sur le comptoir et repart dans la salle, attendant son rendez-vous. Et moi je respire mieux quand je suis de nouveau seule, derrière le bar en bois massif. Je crois que c’est l’unique endroit où je me sens totalement en sécurité maintenant.

Je suis sur la pointe des pieds pour réagencer les bouteilles posées sur les étagères quand le carillon de la porte se fait entendre.

— Ah ! Monsieur Vega ! Je vous attendais !

Je me retourne, proche de tomber et de renverser ce que j’ai mis du temps à réinstaller. Des mèches folles barrent mon visage et ma mâchoire manque de se décrocher lorsque je découvre le nouveau venu.

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A très vite !

Bénédicte P. Durand